Le DEFAP, un peu d'histoire Conférence prononcée par Jean François Faba, le 16 mars 2008 à Vaison la Romaine Situation du protestantisme au XVIIIème siècle : Le protestantisme français a subi pendant 102 années les effets de la révocation de l'Edit de Nantes (1685). Une réelle résistance a permis qu'il puisse subsister en petit nombre sans qu'il ait la possibilité de s'organiser convenablement. L'Edit de Tolérance (1787) va lui donner la capacité de retrouver le droit de culte de manière restrictive. Et il faut attendre 1789/1791 pour qu'en deux temps il puisse être envisagé une réorganisation de ce protestantisme.
Le Réveil : Cette situation laisse, pour certains, un goût amer et semble autoriser une sorte de dérive , d'impiété que l'Ancien Testament combat régulièrement, en particulier quand tout le peuple s'éloigne de la parole de Dieu (texte de Jérémie). Il apparaît donc important de mettre un terme à ce comportement en réveillant le protestantisme pour qu'il se mette sur la bonne voie. Il apparaît indispensable qu'une parole prophétique à la fois condamne et à la fois propose une alternative. Le mouvement du Réveil en France a ses racines dans le Réveil européen. En Allemagne, le réveil commence au milieu du 18ème siècle avec Philippe Spenner et Auguste Franck, comme d'ailleurs en Grande-Bretagne avec John Wesley (1703-1791) et Charles Wesley (1708-1788). N'oublions pas les frères Moraves Nous trouvons déjà dans leurs propos les bases pour une dynamique missionnaire qui pose le salut comme ultime préoccupation.
En France , le Réveil est plus tardif .Dans ce pays le protestantisme y est minoritaire sauf dans quelques régions. Fait marquant, nos missionnaires du Réveil ont fait un tour à l'étranger avant de découvrir leur vocation. Etienne de Grellet, converti par les Quakers, fera une tournée dans le Sud. André Gucher, converti par les Moraves, fera une tournée dans le Sud. Félix Neff(1797-1829)vient de Suisse pour réveiller les Hautes Alpes et Mens. Paul Ami Bost(1790-1874) fait ses études chez les Moraves ; son ministère l'amène en Allemagne, en Suisse et en France où il est " missionnaire du réveil " envoyé par la " Société continentale de Londres ". On peut aussi classer Oberlin(1740-1826) dans cette série de missionnaires du Réveil. La particularité du message est l' annonce de la grâce, la repentance, la conversion et la sanctification, débouchant sur un souci de mieux vivre la condition humaine par l'enseignement et l'économie adaptée. Origine de la mission pour le protestantisme : C'est de Grande-Bretagne que le souffle missionnaire apporte les prémices d'une prise en compte de cet aspect particulier de la vocation de l'Eglise. Paradoxalement les Anglais se mettent à penser la mission à partir d'une mise en cause de l'esclavage. Autour de William Wilberforce une partie de la bonne bourgeoisie anglaise se regroupe dans un " mouvement évangélique ", orienté vers l'œuvre social, dans le cadre d'une sensibilité religieuse piétiste autour de deux axes : la lutte contre l'esclavage et surtout, suite de la révolution française et de la " terreur " (1793-1794), un désir profond de mettre en place une mission en terre française pour lutter contre l'athéisme et bien entendu le culte de la raison. Nous pourrions dire que pour nos amis britanniques la ville de Calais devient la porte de l'Afrique, et la France une terre ou un champ de mission. Le mouvement évangélique va être à l'origine d'une mission interconfessionnelle et donc nationale. C'est la London Missionary Society, créée en 1795. Cette société sera accompagnée d'une autre création, La British and Foreign Bible Society, dont la vocation est de lutter en faveur " d'un retour de la religion ". Ces sociétés s'organisaient autour d'une réunion annuelle à Londres : les " May meetings ". Nous avons déjà souligné le travail des pasteurs convertis en Grande-Bretagne et qui reviennent en France pour " réveiller " le protestantisme. La Mission de Londres va donc envoyer des missionnaires sur le sol français, dans un premier temps il s'agit d'un travail auprès des compatriotes (dans les ports, avec un bateau missionnaire) et rapidement, en lien avec les pasteurs intéressés, une mission plus externe, tournée vers le peuple de France, supposé athée ou catholique. Dans cette stratégie nous retrouvons la tradition du protestantisme français pour qui seule la mission en direction des catholiques romains aura un sens. Un pasteur congrégationaliste, Marc Wilks, vient en France et plus particulièrement à Nîmes pour faire une enquête sur la terreur blanche (1815-1816) dans le midi. Il est envoyé pour quelques mois et reste 20 ans en France, surtout à Paris, toujours en lien avec la Société des Missions de Londres. C'est lui qui donnera aux protestants français de l'appétit pour une œuvre missionnaire. De l'autre côté de l'hexagone, l'Alsace et le pays de Montbéliard se tournent vers Bâle et la Mission de Bâle, fondée en 1818. Par des réunions de prières, d'intercession, d'information des groupes hors paroisse soutiennent cette oeuvre. Ainsi ont été créées des Sociétés auxiliaires de la Mission de Bâle. Remarque : les laïcs en sont souvent à l'initiative. Comment va naître la SMEP ? Une société biblique de Paris est formée en 1818. A l'Assemblée Générale anniversaire de la Société Biblique de Londres, le professeur de langue turc au Collège de France, Jean-Daniel Kieffer, est le représentant de France. Il a l'intention de rencontrer le directeur de la Mission de Bâle, M. Blumhardt pour l'entretenir sur un projet missionnaire pour le protestantisme français. Il le rencontrera deux ans plus tard. Mais déjà il accepte de recevoir chez lui des élèves missionnaires de Bâle qui doivent apprendre les langues orientales. En 1819 Kieffer présente à l'AG de la Société Biblique une traduction en Turc de la bible avec pour corollaire le désir de propager la bible dans " les terres lointaines ". Les bases sont là pour envisager l'ouverture d'une mission protestante d'autant plus que depuis quelques années tous les sympathisants de la mission se réunissent régulièrement à Paris (dans les salons d'un Anglais Wilder). L'année 1822 marque à la fois une première rencontre pour ébaucher un projet de société, où le choix est fait définitivement de créer une société française et non de se rattacher à la Mission de Bâle. Le 4 novembre 1822 ce sera la séance constitutive. Rapidement un premier missionnaire passe par Paris pour se former et se rendre ensuite en Palestine (J. King).L'année suivante trois élèves viennent s'inscrire pour l'école de langue orientale (Gobat vient du Jura Bernois, Kork vient de Brême et Albrecht de Dresde). En 1829, après leur consécration, trois pasteurs ( Lemu, Bissieux, Rolland) partent pour l'Afrique du Sud sous couvert de la LMS (London Missionary Society). La Société missionnaire évangélique de Paris enverra ses premiers missionnaires en 1833 au Lesotho (Arbousset, Casalis, Gosselin). La mission protestante et ses bases bibliques et théologiques : Matthieu XXVIII,19 - " Allez donc, de toutes les nations, faites des disciples… les baptisant… " Texte fin Marc XVI, 16 - " Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé, celui qui ne croira pas sera condamné ". De cette base biblique ressortent quatre motifs justifiant la mission :
Une lettre est envoyée aux protestants de France. Elle tient compte du contexte historique. Elle commence comme suit : " En reconnaissant l'énergie passée à reconstruire le protestantisme et à lui donner un nouveau départ, les protestants veulent, à la lumière de ce qui se fait ailleurs, prendre leur part de travail missionnaire, " cette œuvre sainte ", en communion avec les Eglises évangéliques sœurs d'Europe et du monde ". Le premier projet est d'ouvrir une école et d'utiliser les ressources qu'offre la capitale pour étudier, apprendre les langues étrangères. Le texte fondateur reprend à son compte les besoins propres des Eglises protestantes depuis qu'elles ont retrouvé leur liberté de culte. Il s'ouvre sur le courant évangélique et essaye de convaincre de sortir de toute vue étroite et de tous calculs égoïstes pour " hâter l'approche de ces temps fortunés où tous les bouts de la terre verront le salut de notre Dieu (Esaïe, 52-10). Point important, cette argumentation repose aussi sur l'exemplarité des autres pays où la mission à l'étranger n 'a pas, mais au contraire, empêché la mission à l'intérieur. En France nous aurons deux sociétés missionnaires pour cette " mission intérieure " correspondant aux deux courants théologiques libéral et orthodoxe. Les libéraux vont créer la société évangélique de France (1833) qui prône la liberté d'attachement ecclésiastique pour les convertis. Les orthodoxes vont créer la société chrétienne protestante de France (1835) qui deviendra par la suite la société centrale d'évangélisation qui prône le rattachement à l'église réformée après accord du consistoire. L'assise théologique de cette mission à l'extérieur : La théologie protestante réaffirme à ce sujet que toute mission repose sur la confiance en Dieu qui, par sa grâce, choisit les instruments de sa volonté suprême. Il appelle à vocation pour reprendre un terme cher à Calvin. Les membres de cette mission sont conviés, par leur travail, à faire avancer le règne du Rédempteur. A ce principe fondateur, une lecture plus christologique s'impose. D'une manière paradoxale, les fondateurs de la SMEP apportent, en fin de texte, une affirmation et une interrogation.
En reprenant l'ensemble de la démonstration il est possible de l'interpréter comme suit : un appel à vocation missionnaire est lancé par Dieu, cela fait partie de la mission de Dieu. Son fils, le Christ Jésus, a apporté une bonne nouvelle, l'évangile, pour confirmer cet appel. Avons-nous répondu : " Jésus sera notre Juge " ? Un impératif sanctionné par un jugement avec trois citations bibliques en fin de texte pour susciter l'empressement, donner de l'assurance et humaniser la mission. Le temps est court, la nuit approche (Jean IX, 4). Faisons selon notre pouvoir et les moyens qui sont les nôtres (Eccl.9) et soyons fermes, inébranlables, sachant que notre travail ne sera pas vain auprès du Seigneur ( 1Cor XV,58). L'ensemble du texte regarde vers Dieu, vers sa mission. Cela va s'inscrire dans une forme pédagogique qui consiste à mettre sur pied des groupes de prières. Le premier lundi du mois, à 7 heures le soir, dans les paroisses qui acceptent de soutenir cette nouvelle œuvre missionnaire. Le chant aura aussi une importance, le cantique missionnaire rejoint les chants du Réveil. Cette Société des Missions de Paris va vivre au rythme de la diplomatie internationale et du partage du monde entre les puissances européennes. La France récupérant d'anciens territoires sous tutelle britannique, fera, après une tentative d'élimination du protestantisme, appel à la SMEP pour poursuivre un travail auprès des populations autochtones évangélisées par les missions de Londres et du Nord de l'Europe (Tahiti (1866), Kabylie (1885), Madagascar (1896), Nouvelle-Calédonie (1898), etc… Son origine étrangère et la spécificité protestante du christianisme dans ces territoires sous tutelle, obligera le protestantisme français à prouver, régulièrement, son obéissance à l'état français .D'autant plus que ces églises sont déjà organisées et qu'une grande partie du travail missionnaire avait pour but de donner aux populations un minimum d'éducation pour s'approprier le texte biblique et donc pouvoir en débattre librement, de développer la reconnaissance de l'originalité culturelle en l'explicitant dans un contexte géographique et historique écrit . Mais l'Eglise locale (plutôt nationale !) n'a pas de réalité propre, elle est champ de mission. Les missionnaires/pasteurs dirigent l'essentiel de l'activité dans les communautés, le personnel autochtone est un personnel d'appoint. Le cadre est fixé par la SMEP qui apporte le financement, les hommes et bâtit le projet. Quelques années plus tard, avec un peu de recul et idéalisant le travail missionnaire, M. Leenhardt écrit, après avoir fait le constat du bon travail autour de la langue et de l'écriture : " Le missionnaire ne construit pas ! mais a le souci de former des hommes, des pasteurs indigènes, pour veiller sur la paroisse et conquérir les païens. Créatrice d'humanité et non gardienne du cheptel humain, la mission n'a jamais reçu de compliment plus magnifique. Faire des hommes, c'est accroître la virilité du monde et ses possibilités spirituelles. C'est aussi la façon la plus saine de planter l'Eglise en terre païenne ". Il introduit un nouveau concept : l'idée de fraternité qui permet de rompre avec l'idée d'être Eglise sœur et Eglise mère. C'est l'idée d'une seule adoption par l'unique Père.(1945), adoption de chaque Eglise locale à un seul projet communautaire qui en fait des Eglises sœurs. C'est une réponse à un texte de 1912 de Roland Allen : " Nous avons prêché l'évangile du point de vue du riche qui jette une obole sur les genoux d'un mendiant… nous avons souhaité les aider. Nous voulons absolument faire quelque chose pour eux. Et nous avons fait beaucoup. Nous avons tout fait pour eux… sauf leur reconnaître une égalité quelconque. Nous avons tout fait pour eux, mais très peu avec eux. Nous avons tout fait pour eux sauf leur faire place ". (Missionary methods St Paul or Jésus, American Edition Chicago. Moody Press). Il faut aussi souligner que la SMEP représente de part son comité et les groupes de soutien, une grande partie du protestantisme français. Au courant traditionnel luthéro-réformé il faut ajouter le courant baptiste et évangélique dans un réseau franco-suisse. Après 1945 : Le monde se construit sur les ruines de la guerre. Le partage entre l'est et l'ouest est admis avec des zones d'influence idéologique vers le sud où se jouent deux conceptions du monde (libérale et communiste). Les luttes de libération touchent de nombreuses colonies dans les années 50. Une élite formée dans nos écoles et universités envisage un nouveau statut pour les pays concernés. L'indépendance des états s'impose plus ou moins pacifiquement en même temps que l'indépendance des Eglises qui se fait parfois quelques années avant. Bouleversement considérable pour la SMEP qui, pendant une dizaine d'années, réfléchit au modèle institutionnel qui répondra au mieux à cette situation nouvelle avec une attention particulière sur trois points :
Cette période de l'histoire missionnaire protestante est très importante. D'ailleurs le mot mission disparaît du vocabulaire pour devenir " action apostolique ", une façon de reconnaître combien chaque Eglise a une responsabilité missionnaire. (Nous reviendrons sur ce sujet dans l'actualisation). C'est aussi le temps de mesurer la différence fondamentale entre la tradition française et les traditions des Eglises issues de la mission. Des chrétiens ont été présents dans le débat, parfois dans la lutte pour l'indépendance politique. Le lien avec le pouvoir politique local est grand. L'indépendance vécue sous le signe d'un progrès, d'une identification à une histoire internationale (ONU, …), une reconnaissance positive qui espère de nombreux bénéfices. Les Eglises participent à cette construction d'autant plus qu'elles représentent une structure stable, dotée de moyens et parfois d'un certain prestige. L'Eglise au monde est une réalité quotidienne dont nous avons aujourd'hui encore quelques effets surprenants (Madagascar, Tahiti, Cote d'Ivoire). L'Eglise au monde assure ainsi plusieurs fonctions : celle de faire vivre et accroître la place de l'Eglise dans la communauté, de former ses fidèles et ses cadres, d'entretenir avec le pouvoir un lien critique , de vigilance et d'entrer, au niveau national, dans des démarches œcuméniques. Eglise à part entière, mais Eglise issue d'un modèle missionnaire dont le lien financier et technique n'est pas facile à couper d'autant que le grand rêve de développement ne se réalise pas comme prévu. La mission aujourd'hui : La mission n'est donc plus l'affaire des sociétés de missions quand bien même l'histoire ne les a pas supprimées. Mais ces sociétés prennent une orientation différente, elles acquièrent une autre autorité en perdant une grande partie de leur pouvoir. La mission devient le défi de toutes les Eglises ; au sud parce qu'elles sont dans un environnement où le retour aux religions traditionnelles est fort et au nord parce que la sécularisation se conjugue avec toutes sortes de nouvelles croyances. Nous sommes au centre d'un intérêt et d'une mission en commun, annoncer l'évangile au monde quel que soit le lieu de ce monde. Il n'y a plus de zone de chrétienté et des zones païennes. Il y a un monde, des peuples auxquels le message de l'évangile doit être annoncé sans faille. Ce principe étant annoncé, comment cela peut-il se vivre dans un protestantisme toujours éclaté entre les courants historiques, évangéliques, pentecôtistes, eux-mêmes coupés en sous-courants qui se définissent en fonction des traditions culturelles et des générations qui se succèdent. Autour de cette problématique se décline le rôle et le statut du missionnaire, de l'évangéliste et du pasteur. Dès l'instant que l'Eglise, issue de la mission, a eu son indépendance, s'est posée la question du statut missionnaire. Etait-il le pasteur de la communauté, avait-il une vocation particulière qui le plaçait en marge de la communauté ? Du point de vue de la théologie pratique, le missionnaire et l'évangéliste avaient pour tâche de susciter le rassemblement de femmes et d'hommes autour d'une parole, d'une bonne nouvelle, autour d'une histoire du salut et de la rencontre avec le royaume des cieux ou royaume de Dieu. Cette communauté se construisait autour de celles et ceux qui se convertissaient à cet enseignement et acceptaient les normes religieuses qu'imposait l'adhésion au christianisme. Rapidement des pasteurs autochtones ont pris en charge la dynamique de ces communautés, leur édification par la prière, le chant et le culte. Dans ce cadre spécifique, le missionnaire vient d'ailleurs, il appartient déjà à la communauté d'origine qui l'a envoyé. Le pasteur est issu du travail de la mission, il incarne la réussite de l'entreprise missionnaire, il fait le lien entre le missionnaire et le peuple de la communauté confessante /pratiquante. On se rend compte que ce modèle est bien historique, il correspond à la phase missionnaire proprement dite et à cette période assez courte qui fait le jonction les quelques années qui suivent l'autonomie totale. Bien entendu, ce mode correspond à celui des Eglises historiques, celles de la première mission. De nos jours, des Eglises du nord continuent de penser d'agir dans un cadre ancien, avec une stratégie de prosélytisme touchant toute la population chrétienne ou non. Ce sont les courants pentecôtistes de la première génération. L'Eglise devenue indépendante se veut être missionnaire, par son exemple, par sa capacité d'entraînement et de conviction, elle essaye déjà de conserver une dynamique auprès de ses membres et par la suite d'entraîner d'autres personnes. Il s'agit là d'une idéalisation d'un processus qui doit faire face au retour des identités et traditions religieuses anciennes, avec souvent une double pratique religieuse plus ou moins acceptée, plus ou moins encadrée.( en particulier pour tout ce qui concerne la maladie et la mort) La mission a été dans le cadre de la concession missionnaire, un lieu de service important pour les populations. Avec l'école et le dispensaire, le lycée et l'hôpital, l'Eglise missionnaire concentrait sur l'éducation et la santé deux activités structurantes dans le processus colonial. Avec l'indépendance, dans le cadre français, la mise en place des " Républiques ", l'éducation et la santé resteront des lieux de passage où pourront se jouer des rêves missionnaires plus ou moins explicites. Avec l'indépendance, les jeunes Eglises se retrouvent en charge d'établissements qui dépassent de beaucoup leur capacité de gestion. Sur ce secteur, une tradition d'envoi va se maintenir afin que le service rendu soit maintenu dans une bonne qualité . Il en est de même pour les fonds et les équipements. Sur ces programmes d'envoi, l'œuvre missionnaire maintient son statut en donnant un caractère classique à l'envoi et recherchant un financement traditionnel au sein des églises. Certes le service national en France a permis de couvrir une partie des besoins en personnel pour ceux qui venaient du nord. les Eglises locales essayent et parviennent souvent à fournir l'encadrement, mais afin d'avoir une marge de manœuvre financière et une bonne image de marque, l'élément venant du nord reste souvent indispensable. Sur ce secteur, deux préoccupations et une ouverture : La première préoccupation est de développer une argumentation pour expliciter que le travail dans les œuvres est une manière implicite d'annoncer l'évangile. L'envoyé n'est pas un missionnaire classique mais il peut être compris comme la forme moderne d'un certain travail missionnaire et surtout une possibilité de rencontre entre frères de continents différents et travaillant dans un même secteur d'activités. La seconde préoccupation touche l'ensemble de l'activité de service au regard du travail des ONG et d'une certaine attention humanitaire, en particulier autour de la santé et de la nourriture (alimentation). Nous sommes face à deux modes opératoires sur le terrain avec une base commune ou supposée commune (donc convergente) et des différences dans le fonctionnement, le financement et parfois l'enracinement local. L'une des interrogations ou préoccupations est de donner à entendre ce qui singularise, au-delà de l'historique ici rappelé, le travail des Eglises dans le champs de la mission. En quoi l'école et l'hôpital de l'Eglise méthodiste du Bénin, par exemple, sont différents dans leurs prestations, dans leurs projets, à ceux de l'état ou de la croix rouge… (voir " action des hommes et royaume de Dieu " dans mission de l'église n°126-Jean Luc Brunin) Ce contact avec l'ONG est stimulant. Il peut ouvrir nos églises sur d'autres projets, en particulier dans le domaine du développement et de la micro-réalisation dans lesquels, d'ailleurs, s'engagent nombre de groupes de nos paroisses et communautés locales. Bien entendu, il ne faut pas oublier l'investissement important des Eglises sur place, dans le développement rural et le service d'aide, d'appui aux populations villageoises. Avec plus ou moins de succès, nombreuses sont les entreprises économiques, rurales ou artisanales qui se construisent avec l'aide et en partenariat avec l'église locale et les chrétiens d'autres continents. L'annonce de l'évangile ne va pas sans un geste qui enracine et donne vie à la parole de libération (voir le Réveil). A cette théologie pratique, les Eglises doivent aussi relever des défis théologiques, ecclésiologiques , institutionnels et environnemental. La théologie : Nous sommes à un moment où chaque Eglise, avec ses biblistes et ses théologiens, récupère une grande partie de la culture et de la tradition du peuple. Celles-ci sortent d'une façon renouvelée et positive après un temps d'enfouissement dû à l'obligation de soumission au modèle colonial. Le peuple a été habitué à sous-estimer puis à dénigrer sa culture, ses mythes fondateurs, ses points de repères. Nous étions dans un système d'acculturation. Aujourd'hui se poursuit un travail important de d'appropriation d'une histoire, d'une sociologie, d'une psychologie - un véritable travail de récupération d'un patrimoine interdit. Cette remise à plat coïncide avec un renouvellement de la lecture du texte biblique où lui-même apparaît issu d'un contexte particulier. L'enjeu est de jeter le pont entre ces différentes cultures en maintenant le sens profond du texte et en l'explicitant dans des catégories recevables pour la culture retrouvée. Il y a donc une distanciation, une mise en perspective critique par rapport au modèle occidental et sa philosophie. Nous entrons dans le cheminement de l'inculturation qui donne aux rencontres une dynamique passionnante. Il faut bien entendu relever que ce travail, s'il est récent dans certains continents, ailleurs il s'est fait depuis une trentaine d'années et a porté ses fruits dans les engagements pris par de nombreux chrétiens sur le terrain des luttes de libération et de soutien aux plus pauvres.( actuellement le théologie de la libération est dépassée par le pentecôtisme) Un effet secondaire est à souligner. Les agences missionnaires s'interrogent à leur tour sur l'inculturation d'une lecture biblique et d'une théologie dans les pays du nord, mettant à nu l'illusion d'un christianisme blanc épuré de toute source extérieure à lui-même. Nous assistons dans certaines réunions à la construction d'une base nouvelle pour une fraternité chrétienne en pleine mutation où le centre de gravité s'est déplacé du nord vers le sud. L'ecclésiologie : Nous assistons à une mise en perspective pour ne pas dire à une prise de distance par rapport à une double assise ou modèle reçu du passé.
Vis-à-vis du modèle ecclésiastique et du schéma qui fonde l'autorité, les nouvelles générations veulent apporter un éclairage nouveau. Cela correspond à une ouverture sur les nouveaux enjeux qui obligent à mener la vie de l'Eglise avec d'autres outils et sur des bases relationnelles différentes. L'enjeu est important car il s'agit d'entrer dans des nouveaux modèles d'autorité au moment ou l'on retrouve les anciens pour expliquer l'existant . C'est le paradoxe de la redécouverte des traditions au moment ou on est en train de les perdre. L'environnement économique et social est bousculé, il reste des points de repères, nombreux mais fragiles parce que le sens a été perdu. L'Eglise doit à la fois s'adapter et résister, tenir compte et maintenir ferme. Sur ce défi se joue l'avenir du protestantisme, tant sa fragilité se joue sur sa capacité d'autorité et tant sa richesse repose sur sa capacité d'ouverture. Cela est plus sensible dans le rapport entre l'institution et ses œuvres. Celles-ci étaient le fer de lance de la mission, l'explicitation du service des tables, du diaconat, lieu par excellence de l'annonce pratique de la bonne nouvelle. L'Eglise devenue indépendante se voit confier l'édification de la communauté, la mission extérieure et le suivi des œuvres. Les œuvres, éducation, santé, relèvent le plus souvent d'une responsabilité du service public, avec une prise de distance vis-à-vis du projet initial d'évangélisation et de mission. Cela se renforce avec un encadrement recruté pour sa compétence et non pour sa fidélité à l'Eglise et à l'évangile. Les œuvres restent dans l'organigramme de l'église locale ou nationale. Son intitulé, sa raison sociale indiquent toujours un lien avec l'Eglise, elles rendent compte de temps en temps aux synodes ou aux différentes instances. Pour aider au fonctionnement l'église fait appel à des volontaires ou envoyés du nord qui sur place se retrouvent sous l'autorité d'un chef d'établissement pas toujours en lien avec l'Eglise. Il y a donc une distorsion entre l'attente ou les attentes locales et l'attente de l'Eglise qui envoie ; celle-ci continue de porter ce service dans le cadre missionnaire classique quand bien même elle en reconnaît les différences, d'autant plus que nombreux sont les candidats qui considèrent les anciens services missionnaires comme une ONG particulière. Les ministères : Ce sont les laïcs qui apportent un changement ou tout au moins suscitent un besoin de changement. Ils sont de plus en plus nombreux à entrer dans un processus de formation longue. Le retour au pays, quand celui-ci est possible, s'accompagne d'une prise de fonction dans des secteurs qualifiés et dans des cercles professionnels compétents. L'exigence mène au niveau du travail, s'exerce aussi au niveau de la vie de la communauté. Ainsi nous assistons ici et là à une obligation de réponse qui nécessite de revoir la place du pasteur dans la communauté, son rôle, sa formation. La sociologie classique donnait une autorité/pouvoir au pasteur reconnu par l'Eglise. Le niveau d'éducation élevé réclame plus de proximité dans la charge et le contrôle des affaires de l'Eglise mais et surtout, espère un corps pastoral qui puisse répondre aux nouvelles questions. Le champ d'interprétation s'élargit au risque de ne plus avoir de limites et c'est à l'intérieur que le pasteur doit pouvoir confronter son expérience, sa connaissance, son intelligence aux demandes explicites de ces laïcs, sans rompre avec le reste de la communauté. La mission de l'Eglise, au sein même de ses structures, prend un nouveau visage dont dépend son avenir. D'où deux types d'interpellation concernant la formation, l'une auprès des laïcs, l'autre auprès des pasteurs. Sur ces deux registres, l'aide du nord est indispensable au niveau matériel et parfois professoral, à la fois pour concrétiser la fraternité qui unit les Eglises et pour sortir certaines Eglises de leur isolement forcé lié à des situations politiques et économiques difficiles. L'environnement : La mondialisation de l'économie a développé des bouleversements dans l'organisation de l'habitat. Le phénomène de l'exode rural est sûrement ce qui caractérise le plus cette évolution. Les pays deviennent des " pays-capital " où l'exercice de l'autorité s'arrête aux limites de la ville et de son aéroport. Dans cette urbanisation non maîtrisée, non viabilisée, la survie conditionne une grande partie de l'activité quotidienne. Les traditions se maintiennent globalement tout en se perdant le temps d'une transgression. Avec la pauvreté en plus comment les église peuvent -elles adapter leur mission dans ce nouveau champ. Les églises sont aussi traversée par une sociologie plus éclatée. Ainsi chaque paroisse a son originalité soit ethnique, soit économique et social. Quant à la mission des ces églises déjà installées, elle est bousculée par les courants évangéliques et charismatiques de toutes sortes et par des sectes plus ou moins rattachées au christianisme. Il est aussi important de penser que la grande ville joue un rôle dans le phénomène de sécularisation de la société. En ce sens il est nécessaire d'ouvrir un partage d'expérience entre le nord et le sud en tenant compte des différences( tout en sachant que nous assistons à une accélération du processus) Un dernier constat : La réflexion sur la missiologie a besoin d'une relève au risque de disparaître. Il ne s'agit pas uniquement de faire l'histoire de la mission, mais de comprendre les enjeux actuels de la mission et faire l'inventaire du processus missionnaire dans le cadre global de l'action de l'Eglise. Pour en savoir plus sur le DEFAP : http://www.defap.fr/
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